Une scientifique qui mesure la lumière

Publié par Marianne Peyri, le 18 mai 2022   530

Chantal Tribolo est chargée de recherches au CNRS. C’est une archéomètre qui travaille dans un laboratoire de l’Université de Bordeaux-Montaigne. Son travail l’amène aussi à rencontrer les élèves des écoles, collèges et lycées, pour partager l’objet de ses recherches. C’est dans ce contexte que nous l’avons rencontrée et que nous lui avons posé des questions.

Quel est votre travail ?

Je date les sites préhistoriques. Mon travail, c’est de donner des repères chronologiques. Sur un chantier, je vais chercher des échantillons, je gratte la paroi, en l’éclairant avec une lumière rouge et non blanche.

Pourquoi utilisez-vous une lumière rouge plutôt que blanche ?

La lumière, c’est de l’énergie et on sait que la lumière comprend différentes couleurs, qui correspondent à différentes longueurs d’ondes. Parmi ces différentes couleurs, le rouge est moins énergétique par exemple que le bleu. Si on éclairait des panneaux solaires avec une lumière rouge, ils ne produiraient pas beaucoup d’électricité. Là, c’est le même principe.

Pourquoi travaillez-vous dans le noir même en laboratoire ?

Je travaille dans le noir ou avec des lumières orangées pour ne pas vider « la batterie » du quartz. Notre travail en labo est de « décharger la batterie » des sédiments avec un système de laser. Le sédiment, c’est comme une petite batterie, une petite pile, qui va se charger en étant soumise à la radioactivité. Cette batterie se décharge quand elle est chauffée ou éclairée. C’est la mesure de cette lumière qui va nous dire l’énergie reçue par le sédiment pendant toute la durée de son enfouissement et va nous permettre de le dater.

Quels outils utilisez-vous dans votre travail ?

C’est très varié. Certains sont très spécialisés comme les machines permettant de mesurer la luminescence, ou d’autres machines permettant de regarder ce qu’il y a comme radioéléments dans les sédiments. On utilise aussi de petites pinces pour manipuler les échantillons, des récipients de chimie, beaucoup d’appareils. Je ne sais pas tous les utiliser et je demande de l’aide.

Comment se passe votre travail après les fouilles ?

Je prépare les échantillons. J’extrais des grains des sédiments pour faire des mesures, en utilisant la méthode dite de luminescence. Cela va prendre entre 6 mois et parfois plusieurs années. C’est beaucoup de travail de laboratoire.

Qu’est-ce que la thermoluminescence ?

C’est la lumière qui est émise quand un minéral, préalablement irradié, reçoit une source de chaleur. Les minéraux émettent en effet une lumière et c’est ce qui va me permettre de dater l’échantillon.

Quel est le vestige le plus ancien que vous avez trouvé et le plus récent ?

Moi, je ne fouille pas, je viens sur le chantier prendre des échantillons. La plus ancienne date d’au-delà de 200 000 ans, peut être 250 000 ans. Le plus récent avait quelques années seulement. On m’avait proposé de dater une poterie malienne « exceptionnelle », mais je me suis vite rendu compte qu’il n’y avait quasiment pas de thermoluminescence pour cet échantillon. Après enquête, on a réalisé qu’il s’agissait d’un faux : l’objet n’avait pas vraiment été trouvé en fouille, mais avait été fabriqué par un artisan un village !

Dans quel pays avez-vous travaillé ?

Je travaille surtout en Afrique, en Afrique du Sud, au Mali, Sénégal, Éthiopie, Gabon, Angola, etc.

Pourquoi travaillez-vous surtout sur des sédiments venant de fouilles réalisées en Afrique ?

Ma période de recherche est sur le paléolithique. L’Afrique, c’est là où vivaient les premiers hommes « anatomiquement modernes » (ceux qui donneront ensuite l’homme de Cro-Magnon et l’homme d’aujourd’hui). Ces premiers hommes se sont dispersés en Europe, en Asie, en Amérique et ils ont remplacé les populations présentes alors en Europe, soit l’homme de Neandertal (présent depuis 500 000 ans).

Étudiez-vous une période en particulier ?

J’étudie la période entre moins 300 000 ans à - 30 000 ans, cela concerne donc les premiers hommes « anatomiquement modernes ». On appelle cette période, le Middle Stone Age, « l’âge de la pierre moyen ». C’est une période très longue. Les recherches comme les miennes permettent justement de connaître les comportements de ces premiers hommes. Il y a peu de restes anatomiques ou de squelettes. On travaille donc sur les vestiges de leurs outils, on peut voir s’ils sont plus ou moins fins, petits, complexes, emmanchés ou non et ainsi observer leurs évolutions… Ce travail peut aussi porter sur les comportements symboliques, par exemple des traces de dessins.

Y a-t-il des différences entre le travail des hommes et celui des femmes dans votre laboratoire ? 

Non, il n’y a pas de différence. Que ce soit comme chercheur, ingénieur ou technicien, il y a aussi bien des hommes que des femmes. C’est assez bien réparti. On compte même dans notre labo la présidente de l’association « Femmes de science » qui se bat pour que davantage de femmes choisissent les sciences.

Que faites-vous des sédiments une fois que vous les avez étudiés ?

Une fois qu’ils sont datés, je jette la partie qui a été mesurée, mais je garde en archives une partie de l’échantillon non traité (tel que rapporté de la fouille), au cas où on voudrait refaire de nouvelles mesures, avec une nouvelle approche, par exemple. Ensuite, l’information est publiée dans des revues scientifiques en anglais, le plus souvent, ce qui permet de faire des synthèses, de recouper ces informations avec l’ensemble des chercheurs. Je passe ainsi beaucoup de temps à écrire en français et en anglais, au-delà de mon travail de mesures. Les chercheurs peuvent ainsi comparer les données d’un site avec ceux d’un autre et ainsi reconstituer l’histoire de grandes zones.

Nous remercions Chantal Tribolo d’avoir partagé avec nous quelques-uns des secrets de son métier.

Sacha, Martin, Thibault, Malick, Kenzo, Rose, Mendy, Fleur, élèves de 6e au collège Gisèle Halimi de Mérignac avec l’appui de leur professeure Christelle Granit.

Crédit photo : Luna

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La réalisation de cet article s’inscrit dans le dispositif « Sciences en collège » mené par Cap Sciences en partenariat avec le Conseil départemental de Gironde. Il vise, avec l’aide de la journaliste Marianne Peyri, à accompagner les collégiens dans l'écriture d’articles et la réalisation de photos ou vidéos rendant compte de projets artistiques, culturels ou scientifiques initiés par les collèges de Gironde.