La culture de la truffe noire en Poitou-Charentes : histoire d’une production améliorée par le pragmatisme et la connaissance du cycle sexué
Avec ses terres de groies ou de champagne et son climat atlantique tempéré, l’ancienne région Poitou-Charentes, dans sa partie calcaire, bénéficie d’une situation pédoclimatique satisfaisante pour la culture de la truffe noire. Malgré cette configuration, elle a failli perdre son potentiel truffier au cours du XXe siècle, nous dit Jean-Marc Olivier, directeur de recherche honoraire à l’INRA Bordeaux et responsable de programme de recherches sur les truffes à l’INRA depuis 1984. Contrairement aux trufficulteurs d’autres régions historiquement truffières, les producteurs picto-charentais ne sont pas attachés à des techniques traditionnelles. Il y a donc une ouverture forte vers le suivi technique et un intérêt marqué pour les transferts de la recherche vers le terrain. Un effort collectif au cours des trente dernières années a permis de relancer une production qui occupe aujourd’hui environ 500 trufficulteurs professionnels et une bonne cohorte d’amateurs passionnés. On estime la commercialisation annuelle de la truffe noire entre 3 et 4 tonnes. La récolte est variable en fonction de la météorologie et des capacités d'arrosage. Elle dépend aussi des investissements en temps de travail dans les truffières : travail du sol, taille des arbres et bien sûr, l’apport de spores, une technique récente développée d’abord en Deux-Sèvres.
Quand Lucien Bonneau, agrégé de génie mécanique, arrive dans le monde de la trufficulture en 2001, il découvre l'immensité des incertitudes relatives à la culture de la truffe, et une fourmilière de producteurs qui essayent de percer ses secrets. De manière pratique mais néanmoins construite, il découvre une méthode de culture par réensemencement qui donne quelques résultats. Après des expérimentations - très confidentielles dans un premier temps - une équipe de trufficulteurs, de scientifiques et « d'amateurs » transposent l’expérience grandeur nature pour confirmer ou non la validité de la pratique. Aidé de quelques scientifiques du domaine, il diffuse la méthode dans les Deux-Sèvres, puis en Poitou-Charentes, en France et à l'international. Trois sondages effectués aux marchés aux truffes de Jarnac, puis de Saint-Jean-d’Angély, montrent que les utilisateurs récoltent 50 % de leurs truffes dans les zones réensemencées et que 100% des truffes qui y sont récoltées sont à maturité équivalente. Lucien Bonneau expliquera comment mettre en œuvre cette méthode pratiquée par quelques centaines de trufficulteurs en Poitou-Charentes.
François Le Tacon, directeur de recherches émérite à l’INRA de Lorraine, fondateur de l’UMR Interactions Arbres/Micro-organismes, étudie depuis 45 ans les mycorhizes des arbres forestiers. Malgré les progrès récents, relate-t-il, beaucoup de questions restent en suspens pour établir définitivement le cycle sexué de la truffe noire du Périgord. Un point semble établi : les mycorhizes, quels que soient les mécanismes mis en jeu, peuvent former une structure femelle (ascogone) et très probablement une structure mâle (anthéridie). Elles seraient donc hermaphrodites. Le comportement et le mode de dissémination de ces éléments mâles restent hypothétiques, alors que ces points sont cruciaux. En effet, en raison de l’existence de mécanismes complexes d’incompatibilité au niveau des mycorhizes, les éléments mâles doivent être transportés sur des distances de plusieurs mètres pour que la fécondation soit possible.
Les effets de la pratique du réensemencement corroborent l’hypothèse selon laquelle les anthéridies se reproduiraient sur place dans le sol par voie végétative et que les ascospores pourraient jouer ce rôle d’éléments mâles. L’ensemencement régulier des truffières, dès leur création, avec ces éléments augmentent les chances de reproduction sexuée et donc de production de truffes.
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