Écouter battre le cœur de Mars

Publié par Eric Chapelle, le 19 juin 2019   2.7k

Mars est une petite planète du Système solaire semblant désertique et inactive. Pourtant des indices montrent une ancienne activité. Découvrir Mars, c’est découvrir l’évolution des planètes du Système solaire.


Propagation des ondes sismiques à l'intérieur
du globe martien (© IPGP/David Ducros)

Les secousses terrestres, parfois catastrophiques, sont surveillées par une batterie de 10 à 20 000 sismomètres. En les étudiant, il est possible de sonder l’intérieur de notre planète et de mesurer l’épaisseur du manteau et la taille de son noyau. La présence d’un sismomètre sur Mars peut surprendre : avec une densité plus faible, elle semble avoir moins de fer et un cœur certainement plus petit et inactif, mais jusqu’à présent aucun instrument ne l’a sondée et l’intérieur de cette planète est assez méconnu.

Contrairement à la Terre, il n’existe pas de tectonique des plaques sur Mars. La surface martienne se comporte comme une plaque unique, de nature assez proche des grandes plaques tectoniques terrestres, notamment la plaque eurasienne. Reste à vérifier si Mars possède bien des tremblements de surface. Cette détection est plausible car la surface composée de roche permet une très bonne propagation des ondes. L’activité interne d’une planète a des conséquences sur son environnement. Le noyau actif de la Terre crée un champ magnétique, nous protégeant contre des radiations solaires. Mars a perdu son champ magnétique et n’a plus qu’une très faible atmosphère.


Le CNES possède une grande maîtrise des sismomètres car c’est un sujet qui intéresse les astronomes et les planétologues français et européens depuis plus de 25 ans. Un instrument avait déjà été réalisé en 1996, à bord d’une mission russe, hélas tombée dans le Pacifique peu de temps après le décollage. Lorsque la mission InSight de la Nasa est validée en 2012, une place est acceptée pour l’instrument SEIS, sismomètre le plus perfectionné jamais fabriqué. Cette réalisation du CNES est pilotée depuis Toulouse au SISMOC. Véritable bijou technologique, ces trois capteurs sismiques sont capables de mesurer le mouvement d’un atome ! Ces trois détecteurs, les VBB, sont placés à 120° les uns des autres de façon à identifier une onde quelque soit son orientation.


Le 5 mai 2018, la sonde américaine InSight est lancée. Six mois plus tard, le 26 novembre 2018, la mission InSight se pose sur Mars et quelques jours après dépose délicatement le module SEIS à l’aide d’un bras articulé. Les pieds du module s’ajustent de façon à garantir l’horizontalité des instruments à 0,1° près. Le câble reliant le module à la sonde est tendu. Il est équipé d’une sorte d’amortisseur évitant tout mouvement dû aux variations de température (dilatant et contractant le câble). Après une ultime vérification du fonctionnement des instruments, une cloche est déposée assurant une protection contre le vent, les poussières et des variations de températures (qui sont de 20 à -100°C). Certains éléments des détecteurs ont une fragilité au froid et à partir d’une température inférieure à -65°C une résistance chauffante assure un fonctionnement optimal.

Le module SEIS est si sensible que même les mouvements d’InSight sont observés : les panneaux solaires ou le bras articulé bougent sous la pression du vent (pourtant très faible). Ces vibrations sont identifiées. Le seul inconvénient est qu’elles peuvent masquer un véritable tremblement. Les données sont enregistrées en continu, stockées, et deux à trois fois par jours envoyées à InSight qui les sauvegarde jusqu’à 65 jours. Elles sont alors envoyées à des orbiteurs martiens pour qu’elles soient reçues sur Terre, jusqu’à Toulouse au centre de contrôle du SISMOC. Une sauvegarde aussi longue est nécessaire car Mars, tous les 2 ans et 40 jours, passe derrière le Soleil, interdisant toute communication. Les panneaux solaires d’InSight fournissent l’alimentation électrique. Les premières semaines 4500 watts/heure étaient produits. Actuellement, la production électrique a baissé à 2300 W/h, à cause de poussières qui se sont déposées sur les panneaux solaires, mais elle est encore suffisante.

Pour l’instant, deux sources sont à l’origine des tremblements détectés : les mouvements de la croûte et les impacts d’astéroïdes. Bien évidemment s’il avait été possible de disposer d’un impacteur artificiel cela aurait facilité les mesures : le lieu, la date, la puissance du choc aurait été prévisibles. Le nombre d’impacts météoritiques sera comparé à ceux observés sur Terre et sur la Lune. Pour l’heure, quelques séismes ont été mesurés assurant le très bon fonctionnement de l’instrument et un séisme d’une magnitude de 3 a été récemment observé. Des mesures inattendues semblent encore plus intéressantes et palpitantes. La sensibilité extraordinaire des instruments mesurent les mouvements du sol provoqués par les vents, notamment entre 2h du matin et 18h. C’est une piste très intéressante de recherche : pourquoi les vents se lèvent en pleine nuit martienne ? Est-ce une activité courante, ou saisonnière ? Plus qu’un sismomètre, c’est aussi un station météorologique capable de mesurer en continu l’activité atmosphérique martienne.


La durée de la mission est prévue pour 2 ans, mais elle pourra certainement se poursuivre de très nombreuses années. Préfigurant de futures missions vers les satellites des planètes géantes dans lesquelles le CNES aura une place à jouer.