La science n’est pas une opinion !

Publié par Patrick Lapouyade, le 31 août 2023   620

Cette phrase, rapidement prononcée par Gilles BOEUF lors de l’intervention d’août dernier, aura marqué clairement cette soirée d’échanges. Cette opposition résonne aussi depuis des décennies avec le fondement du travail de notre association, du réseau des CPIE et mérite que l’on s’y attarde quelque peu...

Invité par le CPIE Médoc à intervenir aux côtés de Jean-Denis Dubois, éleveur à la Réserve Naturelle de Bruges (33), Gilles bœuf (ancien président du Muséum National d’Histoire Naturelle, professeur à Sorbonne Université, professeur invité au Collège de France, et orateur passionnant) a captivé comme à son habitude un parterre de plus de 90 sur le site de Maison de Grave.

C’est au travers d’une revue sans concession des enjeux liés à la biodiversité comme de la ressource en eau que l’ancien Président du Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris aura amené son public à s’interroger sur le devenir des activités humaines d’élevage au sens large du terme au regard des évolutions actuelles du climat et de l’effondrement désormais bien connu de nombreuses populations d’espèces. Remonter le temps, éclairer le chemin parcouru par les communautés humaines dans leur conquête du vivant au travers d’exemples documentés, aura permis de remettre le sujet de l’élevage dans un contexte plus large.

Bien sûr, le sujet d’un projet d’élevage intensif de salmonidés au Verdon sur Mer, sur les terrains industriels du Grand Port Maritime de Bordeaux (hors estuaire), s’est invité lors des questions au conférencier. La vision scientifique, le recul nécessaire à l’instruction de ce type de projet a rapidement été sous-jacent aux très nombreuses questions posées.

Car effectivement, comme cela a été rappelé, toute démarche scientifique reste une construction laborieuse, collective, parfois hésitante, qui consiste à poser des hypothèses et à prendre le temps nécessaire à leur compréhension...

Force est de constater que pour conforter le citoyen ou la citoyenne dans la confiance qu’il ou elle porte à la science, il est désormais nécessaire de faire un difficile travail de reconquête et d’affirmation de cette phrase d’introduction. Si la science peut donner lieu à des débats, à terme, elle doit aboutir à un consensus fondé sur l’observation de la réalité (pour peu qu’on lui en donne les moyens, qu’on la prémunisse contre diverses subversions et qu’on en tire les conséquences !) ; les dernières années de débats sur le tabac ou encore le glyphosate en sont de parfaits exemples.

Dans une période d’incertitudes sociales, politiques, climatiques, etc, la science n’est pas plus un dogme rassurant, car elle est susceptible de corrections, de nuances, d’améliorations, tout en représentant une authentique source de connaissance.

Hélas, les dernières décennies, montrent que la science est menacée par le doute, la méfiance, voire l’hostilité. On a ainsi reproduit pour les insecticides ce qui s’est passé pour le tabac : il aura fallu plusieurs décennies pour que la vérité s’impose malgré contre « expertises » et faux débats. Malgré tout, les faits sont opiniâtres et la science finit toujours par les révéler, c’est en ce sens qu’elle est insupportable aux populismes qui reposent sur l’excitation de peurs.

La science, parce qu’elle cherche, s'oppose donc à l'opinion qui se contente de croire. S'il lui arrive, sur un point particulier, de légitimer l'opinion, c'est pour d'autres raisons que celles qui fondent l'opinion.

Bachelard, philosophe des sciences (dans « La formation de l'esprit scientifique »), estime d’ailleurs que celle-ci s'oppose à l'opinion aussi bien dans ses buts que dans ses fondements. L’opinion s'affirme, elle n’a pas besoin d’être prouvée et ne réclame aucune justification. Elle préjuge tandis que la science ne donne pas de jugement tant qu'elle n'a pas démontré.

En nous faisant croire que nous savons, alors que nous ne faisons qu'exprimer une conviction subjective, l'opinion empêche les véritables interrogations de se poser.

Et souvent, l’opinion ne fait que confirmer ce que nous avons besoin de croire, notamment parce que cela rassure. En écartant la possibilité d'une confrontation avec la vérité (confrontation qui peut être déplaisante), elle ne nous oblige pas à une difficile remise en question.

Or, et Gilles Bœuf l’a bien rappelé pendant son intervention, nous ne pouvons pas vivre longtemps dans un environnement instable et peu sécurisé. Dans ces conditions, les chercheurs observent un mécanisme de défense psychologique assez commun : face à la complexité, l’incertitude, nous éprouvons le besoin de contrôler l’environnement en le simplifiant, parfois à l’extrême (les bons et les méchants, le blanc et le noir...). Cette vision dichotomique aide les personnes à retrouver une forme de sécurité et diminue leur anxiété.

L’absence de nuances et de diversité d’opinions fait cependant que ces personnes sont plus facilement sujettes à croire toute explication qui corrobore leur vision. Au lieu d’essayer de comprendre la complexité, elles tentent d’adapter le monde ; toute justification qui va dans ce sens peut alors être considérée vraie...

La science elle-même n’échappe pas à ce syndrome et occasionnellement, il est difficile d’accepter que cette dernière puisse se tromper, ce qui nous ramène alors à la croyance et nous éloigne du chemin vers la connaissance ; une justification ne suffit pas à prouver la véracité de notre propos, il nous faut continuer à interroger nos certitudes.

Alors comment avancer en s’appuyant sur les recherches scientifiques ? En plus d’être conscients des biais évoqués ici, le meilleur moyen reste sans doute l’interaction avec les autres. Les impressions, les avis, les jugements des autres nous permettent de douter des nôtres.

Pour le CPIE, il est donc fondamental de sortir de nos « bulles », de nos réseaux, de nos cercles pour échanger, discuter et confronter les connaissances scientifiques acquises avec des acteurs qui ont des opinions différentes.

Mais cette seule rencontre d’une autre pensée ne suffit pas, même ancrée sur des faits scientifiques. La tentation est grande lors de ces échanges de chercher à convaincre, à persuader les autres de notre opinion. Et c’est là tout le fondement du travail de nos structures associatives, tout l’enjeu de la construction de solutions communes : le seul dialogue qui nous permettra d’avancer est celui qui s’appuie sur une écoute active des arguments scientifiques et qui implique la possibilité de se laisser convaincre par certains d’entre eux. Il s’agit d’envisager la discussion non comme un combat, mais comme une recherche commune de la vérité, d’envisager le conflit non comme une impasse (dont l’apogée reste la violence) mais comme une avancée positive vers le consensus à venir. Penser ensemble et autrement, douter, éliminer les fausses croyances, les opinions érigées en vérité absolue : toute certitude devrait passer par cette confrontation aux autres, par un examen approfondi de sa cohérence et devrait, à tout moment, pouvoir être à nouveau remis en question ; l’incertitude en serait plus rassurante, car c’est certainement de la certitude absolue qu’il faut réapprendre à se méfier. 

Merci à en tout cas à Gilles et à Jean Denis de nous avoir accompagnés sur cette ligne de crête.