Programme d'été 2024 de l'IFJD-Institut Louis Joinet : une réflexion juridique au cœur du Pays Basque
Publié par IFJD-Institut Louis Joinet, le 16 juillet 2024 420
Le Programme d’été 2024 de l’IFJD-Institut Louis Joinet s’est achevé le 30 juin dernier après une semaine riche et intense de partage de connaissances et d’expériences autour des droits humains, et des nécessités spécifiques de la mise en place d’un droit de la responsabilité adapté aux entreprises et à leurs acteurs. Incluant une Université d’été, un Festival du film documentaire et un Forum public, la dixième édition de ce Programme a encore une fois donné lieu à des échanges de grande qualité entre les participants internationaux, nationaux et locaux, venus en tant qu’experts, professionnels, étudiants ou citoyens soucieux d’acquérir des outils pour mieux comprendre et participer aux débats publics contemporains cruciaux pour la protection des droits et des personnes.
Basé à Bayonne depuis 2013, l’IFJD-Institut Louis Joinet est un acteur majeur de la promotion et de la défense des droits humains au travers de ses différentes activités qui se répartissent selon trois axes : penser, former, agir. Son approche originale repose sur le fait d’être à la fois un centre d’expertise sur la Justice transitionnelle et la démocratie, grâce au développement et à la diffusion de travaux de recherche internationalement reconnus ; un organisme de formation, grâce à ses activités de sensibilisation et d’enseignement à destination d’acteurs et de publics variés, que ce soit en France ou sur des terrains d’intervention internationaux ; et une organisation capable de mettre en œuvre des projets d’aide internationale de grande envergure à destination de victimes de violations graves des droits humains. Cette vocation de faire dialoguer des pratiques qui s’enrichissent mutuellement se retrouve également dans le souci constant de s’adresser à un public large et divers en multipliant les formats de transmission. L’IFJD a en effet participé à la production de films documentaires, organisé un séminaire annuel public totalement accessible en ligne et ouvre son Université d’été au grand public grâce à la mise en place d’un Forum public et d’un Festival de cinéma documentaire gratuits et ouverts à tous.
L’Université d’été
Entreprises et justice transitionnelle, Saint-Étienne-de-Baïgorry, 23 juin–30 juin 2024
Conçue comme un espace d’échange visant à mettre des connaissances de qualité à la portée d’un public le plus large possible, l’Université d’été a rassemblé une pluralité d’acteurs et de chercheurs soucieux de mieux comprendre les enjeux de la responsabilité des entreprises dans les violations des droits humains.
Parmi les intervenants se trouvaient des chercheurs et des professeurs de droit, et d’histoire, des avocats engagés dans les luttes pour les droits humains mais aussi l’ancienne Présidente du Chili et ancienne Haute-Commissaire aux droits humains des Nations Unies, Michelle Bachelet. Tous, nous ont rappelés les défis dans la lutte contre l’impunité des entreprises dans les cas de violations massives de droits humains. Ils nous ont présenté les textes et mécanismes internationaux encadrant le droit des affaires et plus particulièrement les lacunes du droit de la responsabilité des acteurs économiques. L’Université d’été a également accueilli des activistes qui ont témoigné des difficultés que peut représenter l’engagement, tout en mettant en évidence la nécessité de ces actions pour lutter contre les failles légales. Au travers de leurs expériences, ils ont donné à voir les réalités de la lutte, entre menaces, soutiens, et détermination. Ils ont mis en évidence que les géants, les multinationales, peuvent craindre une voix, lorsque celle-ci trouve suffisamment d’écho.
Cette Université d’été a ainsi débuté avec un rapport introductif de Mme Bachelet sur la nécessité de lutter contre l’impunité des entreprises dans le monde, suivi par une présentation des principes et mécanismes de la Justice transitionnelle pas Xavier Philippe et une introduction sur les droits économiques et sociaux et la justice transitionnelle par Jean-Pierre Massias, président de l’IFJD.
Un maître de conférences et un historien nous ont, par la suite, présenté l’importance d’une justice alternative avec la mise en place de commissions vérité pour les violences économiques et sociales au travers de l’histoire de la grande grève des mineurs de 1984 à 1985 et de la mise en place de la commission vérité sur la dette publique grecque.
Deux maîtresses de conférences nous ont ensuite exposé les impacts de l’entreprise coloniale et ses responsabilités dans des crimes massifs, au travers de l’exemple de la Commission parlementaire spéciale sur le passé colonial belge et les réparations réalisées par les entreprises, à destination des victimes de la traite Atlantique et de leurs descendants.
Nous avons également abordé la question de l’industrie des armes face à ses victimes au travers d’une affaire portée par un avocat sur l’action en justice d’une famille palestinienne contre un fabriquant d’armes français mais également au travers de l’émouvant témoignage de Tran To Nga, une activiste engagée dans l’assignation en justice de l’entreprise Monsanto pour sa commercialisation de l’Agent Orange.
La question des peuples autochtones face aux multinationales nous a été présentée par une enseignante chercheuse de l’Institut de l’Université de Londres à Paris, spécialiste de la région arctique et l’artiste activiste Delphine Fabbri-Lawson, qui fait partie de la communauté guaranie du Brésil.
Nous nous sommes par la suite intéressés au modèle d’extraction, son coût et la nécessité de mettre en place une transition, au travers de la présentation, par un avocat, de la plainte déposée contre Total Energie pour son méga projet pétrolier en Tanzanie et en Ouganda et l’impact des violations des droits humains liés à l’exploitation des ressources minières en République Démocratique du Congo.
Nous avons par la suite abordé la question du travail forcé, en axant principalement nos réflexions et échanges sur le cas des Ouïgours, en évoquant la complicité des entreprises qui ont recours au travail forcé dans la région ouïghoure et le Tribunal ouïghour, avant d’étudier le rôle des médias, tels que Meta, dans les violations massives des droits humains.
Ces échanges ont été particulièrement enrichissants du fait de la présence d’une membre d’Amnesty International France, du directeur du plaidoyer et de l’assistance chez RSF, d’une historienne chargée de recherche au CNRS et d’un docteur en relations internationales. Enfin, nous avons mis un terme à notre semaine d’Université en nous intéressant à la complicité de crimes contre l’humanité et aux moyens possibles pour juger ces complicités, en abordant les spécificités des enquêtes sur les liens entre entreprises et groupes terroristes ainsi que la loi française et la directive européenne relatives au devoir de vigilance des entreprises.
Ainsi, l’Université d’été de 2024 a permis de faire un état des lieux très complet des enjeux et pratiques de la Justice transitionnelle dans sa prise en charge de la responsabilité des entreprises grâce à des interventions balayant un vaste panorama temporel, géographique et disciplinaire. Outre le niveau d’expertise des intervenants réunis pour cette formation, la qualité de l’événement s’est trouvée renforcée par la composition du public qui comptait dans ses rangs des acteurs déjà dotés d’une riche expérience dans plusieurs de ces domaines et contextes, tels que des professionnels contribuant à différents mécanismes de Justice et de réparations notamment en République Centre Africaine ou en Haïti.
De manière générale, le format de l’Université d’été, particulièrement pour les participants présents à Saint-Étienne-de-Baïgorry, a permis une fois de plus de créer des liens pérennes entre des personnes venues d’horizons divers et se trouvant à différentes étapes de leur parcours universitaire ou professionnel. Les échanges scientifiques et techniques, les partages d’expériences, incarnant de l’espoir et la nécessité de l’engagement pour construire un monde plus juste, ont été tant d’opportunité pour les plus jeunes de mieux visualiser les perspectives universitaires et professionnelles existantes. L’ensemble de ces facteurs est assurément le succès de cette édition 2024.
Le Festival de cinéma
Défendre les droits humains, cinéma Bil Etxea, Saint-Étienne-de-Baïgorry, 23 juin – 27 juin 2024
Parallèlement à l’Université d’été, l’IFJD-Institut Louis Joinet a ouvert son Programme d’été au grand public grâce à son Festival du film documentaire, gratuit et ouvert à tous. Tous les soirs, une projection, suivie d’un débat avec l’un des intervenants de l’Université d’été, a rassemblé au cinéma Bil Etxea de Saint-Étienne-de-Baïgorry des personnes venues d’horizons différents, mais soucieux de partager leurs interrogations et leurs réflexions sur des situations et des histoires plus ou moins lointaines dans le temps et dans l’espace.
Pour cette édition intitulée Défendre les droits humains, le Festival a proposé une sélection de films touchant au thème de l’engagement dans la lutte pour la défense des droits humains dans différents contextes tels que la lutte pour le climat avec le film Irrintzina, le cri de la génération climat, ou La loi du plus faible portant sur la lutte contre les licenciements abusifs des entreprises, la lutte contre l’utilisation de produits chimiques dévastateurs avec le film Agent Orange : la dernière bataille ou la lutte pour protéger une culture et des terres dans L’activiste, mais aussi, la lutte contre la désinformation et pour la démocratie avec A thousand cuts.
Cette édition a confirmé l’intérêt du public pour les thématiques exigeantes et sensibles que l’Institut met en avant au travers de ses activités et chaque soirée a été l’occasion de discussions où se sont exprimés aussi bien les spectateurs que les participants et les intervenants de l’Université d’été.
Des spectateurs de Saint-Étienne-de-Baïgorry et des communes environnantes ont fait le déplacement pour cet événement culturel leur proposant un accès à une sélection de films contemporains, dont plusieurs ont été sélectionnés dans des festivals et événements nationaux et internationaux, certains y ayant même reçus des prix. Le Festival leur a aussi permis de pouvoir rencontrer des experts internationaux avec lesquels il n’est pas fréquent de pouvoir échanger dans un format offrant une telle proximité.
Le Forum public
Habiter, travailler, respirer : Défendre nos droits fondamentaux, Saint-Étienne-de-Baïgorry, 29 juin 2024
Journée de clôture du Programme d'été, le Forum public Habiter, travailler, respirer : Défendre nos droits fondamentaux s'est déroulé le samedi 29 juin à Saint-Étienne-de-Baïgorry. Cet événement, ouvert à tous, a été l'occasion de revenir sur les questions abordées tout au long de l'Université d'été en proposant un dialogue avec un public élargi.
La défense des droits fondamentaux peut prendre plusieurs formes et englobe divers sujets. Le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé est l’une des libertés fondamentales selon le Conseil d’Etat. Ce droit, particulièrement large, peut comprendre le droit de se loger, de travailler et d’évoluer dans des milieux respectueux de la dignité humaine.
A la suite de la projection du documentaire Waan Yaat, sur une terre de la République française, nous avons échangé avec François Roux, avocat témoignant dans le film, et Dorothée Tromparent, réalisatrice, avant de donner la parole à Xebax Christy, co-coordinateur de la Commission Logement privé d’Alda, ainsi qu’à Dominique Simonnot, journaliste et contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, puis à Mama Avelina Rogel, chamane, thérapeute et ingénieure agronome.
Un second temps d'échanges a été consacré à la manière dont on peut juger ces violations, en présence d’Eric Toussaint, historien, fondateur du CADTM-Comité pour l’abolition des dettes illégitimes pour aborder la Commission pour la vérité sur la dette publique grecque, puis Tupa Nunes, cacique et chaman guarani mbya pour analyser le rejet du « cadre temporel » par la Cour suprême du Brésil et la démarcation des territoires autochtones, et également Thierry Labica, maître de conférences en études anglophones pour déterminer l’impact des commissions pour répondre à la répression des grandes grèves de 1984 et 1985 au Royaume-Unis.
Nous avons par la suite apprécié le repas palestinien organisé par Le Philistin, l’une des nombreuses associations présentent dans notre village associatif, avant de profiter de la projection du documentaire Warrior Women d’Elizabeth Castle et de Christina D. King. La soirée s’est achevée sur une projection de photographies et des chants traditionnels guarani, réalisés par Delphine Fabbri-Lawson et Tupa Nunes.
Là encore le public est venu nombreux pour cette matinée de partage de connaissances et d’expériences. Des temps de discussions ont donné la parole aux auditeurs comme aux participants et aux intervenants de l’Université d’été.
Quelques chiffres
13 participants, professionnels et étudiants se sont retrouvés à Saint-Étienne-de-Baïgorry pour suivre le Programme d’été.
11 participants supplémentaires ont assisté à distance aux présentations des intervenants, en direct et en différé.
13 intervenants sont venus présenter leur contribution sur place.
6 intervenants ont pu participer à distance et en direct.
2 intervenantes supplémentaires se sont jointes à la matinée du Forum public
10 membres de l’IFJD ont organisé, géré et encadré l’événement, dont son président et sa directrice ainsi qu’un des membres de son conseil scientifique.
Une cinquantaine de spectateurs ont pu bénéficier du Festival du film documentaire à Saint-Étienne-de-Baïgorry et une centaine d’auditeurs libres sont venus assister au Forum public.
Partenaires et soutiens
Cette 10ème édition du Programme d’été de l’IFJD-Institut Louis Joinet n’aurait pu voir le jour sans les précieux soutiens de la Région Nouvelle Aquitaine, au travers de son Programme d’Animation d’Initiatives de Culture Scientifique Technique et Industrielle (PAI de CSTI), du département des Pyrénées Atlantiques, de la commune de Saint-Étienne-de-Baïgorry, de la Fédération nationale des banques populaires et de la Poterie Goicoechea avec la ferme aquacole Truite de Banka.
Pour conclure…
Grâce à ses activités diverses, ouvertes à des publics variés, le Programme d’été 2024 de l’IFJD-Institut Louis Joinet a pu toucher un vaste public aussi bien local que national et international, regroupant des personnes de différentes générations aux parcours et aux points de vue multiples et complémentaires. S’il constitue en ce sens un puissant catalyseur de rencontres et de partages dont les conséquences dépasseront certainement les huit jours de l’événement et le territoire du Pays basque, il aura également créé pour les participants un lien unique avec cette région et avec les structures scientifiques et culturelles qui participent de son dynamisme et de sa vitalité.
Liste des intervenants par ordre d’intervention
Michelle Bachelet, Ancienne Présidente du Chili et ancienne Haute-Commissaire aux droits humains des Nations Unies
Xavier Philippe, Professeur de droit constitutionnel, Université Paris 1, Panthéon-Sorbonne
Jean-Pierre Massias, Professeur de droit public, UPPA et Président de l’IFJD-Institut Louis Joinet
Thierry Labica, Maître de conférences en études anglophones à l’Université Paris-Nanterre
Eric Toussaint, Historien, fondateur du CADTM-Comité pour l’abolition des dettes illégitimes
Ralph Blindauer, Avocat spécialisé en droit du travail
Valérie Rosoux, Directrice de recherches au FNRS et Professeure de sciences politiques à l’Université catholique de Louvain
Kelly Picard, Maîtresse de conférences en droit public à l’Université Jean Monnet de Saint-Etienne
Tran To Nga, Militante pour la défense des victimes de l’Agent Orange
Joseph Breham, Avocat
Eda Ayaydin, Enseignante-chercheuse en sciences politiques et relations internationales à l’Institut de l’Université de Londres à Paris
Delphine Fabbri-Lawson, Artiste-curatrice, activiste et praticienne en hypnose transculturelle
Vincent Brengarth, Avocat
Thierry Vircoulon, Chercheur associé à l’IFRI, coordinateur de l’Observatoire de l’Afrique centrale et orientale
Yalkun Uluyol, Docteur en relations internationales, assistant de recherche et d’enseignement à l’Université Koc, Istanbul et chercheur affilié au Forced Labor Lab du Helena Kennedy Center for International Justice, Sheffield Hallam University
Cloé Drieu, Historienne, chargée de recherche du CNRS au Centre d’études turques, ottomanes, balkaniques et centrasiatiques (CETOBac)
Katia Roux, Chargée de plaidoyer, technologies et droits humains, Amnesty International France
Antoine Bernard, Directeur du plaidoyer et de l’assistance chez RSF
Sophie Havard, Première vice-procureure de la République, cheffe du Pôle crimes contre l’humanité, crimes et délits de guerre, Parquet national antiterroriste (PNAT)
Olivier Petitjean, Journaliste, cofondateur et coordinateur de l’Observatoire des multinationales
François Roux, Avocat
Xebax Christy, Co-coordinateur de la commission Logement privé d’Alda
Dominique Simonnot, journaliste et contrôleuse générale des lieux de privation de liberté
Mama Avelina Rogel, Chamane, thérapeute, ingénieure agronome
Eric Toussaint, Historien, fondateur du CADTM-Comité pour l’abolition des dettes illégitimes
Thierry Labica, Maître de conférences en études anglophones à l’Université Paris-Nanterre
Tupa Nunes, Cacique chaman guarani mbya
Magalie Besse, Docteure en droit, Directrice de l’IFJD-Institut Louis Joinet
Liste des réalisateurs et des films par ordre de projection
Sandra Blondel et Pascal Hennequin, Irrintzina, le cri de la génération climat, 2017, 102 minutes
Joseph Gordillo, La Loi du plus faible, 2021, 61 minutes
Alan Adelson et Kate Taverna, Agent Orange : la dernière bataille, 2020, 85 minutes
Petteri Saario, L’Activiste, 2017, 58 minutes
Ramona S.Diaz, A thousand Cuts, 2020, 98 minutes
Emmanuelle Desbouiges et Dorothée Tromparent, Waan Yaat, sur une terre de la République française, 2022, 60 minutes
Elizabeth Castle et Christina D.King, Warrior Women, 2018, 64 minutes