Site des Classes Olympiques Sciences et Sport

Publié par Alain Junqua, le 17 novembre 2017   1.5k



UNE ACTION ÉDUCATIVE INNOVANTE

Développer chez les enfants le goût pour les sciences en prenant appui sur leurs pratiques sportives à l’école.

 

 

Le site dédié aux classes olympiques Sciences et Sport   http://sciencesetsport.fr est commun à l’axe RoBioSS de l’Institut Pprime (UPR 3346 CNRS) de Poitiers et au département « Ingénierie éducative » créé au CRITT Sport-Loisirs (basé à  Châtellerault) dont il est issu .

 il décrit tout d’abord en détail les idées développées depuis deux décennies par notre équipe de recherche, celles qui prônent, contrairement aux idées reçues, l’activité physique à l’école comme thème de convergence des disciplines scientifiques ; il propose en outre, de nombreux contenus pédagogiques novateurs où l’E.P.S., quittant son approche empirique habituelle vient renforcer les explications communes attendues d’une démarche scientifique pluridisciplinaire.

 Il  a reçu, en dix-huit mois, plus de 10400 visites provenant du monde entier et en particulier du continent nord-américain.    Voici un résumé de nos motivations, des résultats obtenus et des projets en cours.

 

 

Dans son Livre blanc de 1995 “Enseigner et apprendre, vers la société cognitive”, la Commission européenne nous alertait sur les changements qui allaient transformer la société européenne avec “trois chocs moteurs”: la mondialisation des échanges, l’avènement de la société de l’information et enfin l’accélération de la révolution scientifique et technique. Elle suggérait déjà de développer la culture générale et scientifique car, selon elle,« Il existe un risque que la société européenne se divise entre ceux qui peuvent interpréter, ceux qui ne peuvent qu’utiliser et ceux qui sont marginalisés dans une société qui les assiste, autrement dit, entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas […] La compréhension du monde est possible, si l’on peut percevoir son sens, comprendre son fonctionnement et y trouver son chemin. »

 

Mais de nos jours, la complexité des sciences fait peur et l’observation, le bon sens, la curiosité, l’intérêt pour le monde physique et social qui nous entoure ainsi que la volonté d’expérimentation sont désormais des qualités difficiles à inculquer par le système éducatif faute de médias adaptés. Dans ce même livre blanc, la Commission européenne explique ainsi la désaffection de plus  en plus  marquée pour les sciences chez les jeunes : « Dans la société d’hier, qu’elle ait été à dominante rurale ou manufacturière, l’effort d’instruction se portait naturellement en priorité sur l’acquisition de notions abstraites, venant compléter une culture pratique assimilée dans la vie quotidienne hors de l’école ; cette culture s’est transformée, appauvrie, dans une société urbanisée, automatisée, médiatique. ». François Gros en donna une autre explication: « En France, l’enseignement des sciences s’est longtemps situé sur le plan essentiellement mathématique lié à la démarche cartésienne ; certes les mathématiques sont importantes en tant que langage pour aborder les autres problèmes mais, en accordant une place prépondérante à la logique, cette approche a provoqué une certaine déconnexion de l’enseignement par rapport à l’enseignement des sciences, l’ingénierie, la technique. Aujourd’hui, il convient de relancer les sciences expérimentales ».

 

Des tentatives de réconciliation avec les sciences expérimentales ont été récemment organisées dès l’école primaire  comme “la main à la patte” de Georges Charpak dont le succès ne peut pas être mis en doute. Mais le dernier rapport Pisa concernant l’enseignement des sciences dans notre pays ne fait pas état pour autant de progrès récents vraiment probants. C’est donc que des phénomènes connexes propres à l’école mais aussi à l’environnement de l’école viennent parasiter les effets positifs attendus. Comment y remédier? En 1984, Gérard Vergnaud, dans la brochure “le CNRS et la communication” nous montrait la voie: « La recherche en didactique ne consiste pas, comme on peut le penser naïvement, à rechercher les meilleurs moyens d'enseigner un objet de connaissances défini à l'avance et intangible. Elle peut au contraire remettre profondément en cause les contenus de l'enseignement (dans leurs aspects pratiques et théoriques) tout autant que les méthodes d'enseignement. D'une part l'évolution des contenus est permanente  à cause de l'évolution des connaissances, de l'évolution des découpages disciplinaires, et de l'évolution des professions. D'autre part les contenus dépendent de plusieurs contraintes essentielles comme le développement cognitif, affectif et social des élèves et des adultes en formation, ou comme la signification des contenus pour ceux à qui ils sont destinés ».

Nos propres recherches en biomécanique sportive nous ont permis de créer des contenus éducatifs spécifiques et d’analyser les blocages intellectuels induits par certaines explications empiriques à propos de la conduite de savoir-faire sportifs ; paradoxalement pourtant nous proposons, quant à nous, d’utiliser les pratiques sportives comme médias car elles ont du sens pour les enfants. Cette activité sociale, en effet très prisée, est présente dans toutes les années de la scolarité ; de ce fait, elle devrait permettre de réduire les inégalités sociales vis-à-vis de la culture scientifique; il serait ainsi possible de rompre avec les représentations trop dogmatiques des savoirs scientifiques en organisant une relation vivante entre des aspects pratiques et théoriques de la connaissance. Parce qu’elles sont attractives pour les jeunes, les pratiques sportives constituent un terrain privilégié pour une première approche des concepts et des lois universelles de la mécanique, la science qui explique les mouvements des objets et leurs causes. Discipline de base ,  la  mécanique est délicate à enseigner: un document du CNDP nous indique que “la plupart des individus présentent des préconceptions tenaces enracinées dans l’expérience passée de l’élève, lors de la construction intuitive d’interprétations des événements de la vie quotidienne;. . . dans le langage quotidien le mot “force” est, en effet, un mot-clé très fréquemment utilisé qui, dans son acception générale, évoque la puissance et la vie. Cette polysémie omniprésente ne peut que poser problème dans la mesure où aucune de ces significations ne correspond vraiment à celle qui va être construite en cours de physique. De plus, dans les cours d’E.P.S. comme ailleurs, “les concepts manipulés sont très imbriqués (vitesse, force, énergie) et les raisonnements erronés les plus courants, pour lesquels sont observés une grande concordance des réponses, se calquent manifestement sur les sensations et les expériences courantes à propos desquelles les mêmes notions sont évoquées voire ressenties (force, vitesse, élan) »

Notre contribution, proposer un enseignement de la mécanique basé sur des pratiques sociales liées au réel familier des élèves, rejoignit les

Idées de René Moreau qui avait préconisé la même solution en 1995 lors de sa conférence au congrès Mécanique 2000 : « Intégrer plus profondément la mécanique dans la culture et donner à chacun, à l’école, une meilleure appréciation de son importance stratégique devrait être un objectif national. Comment y parvenir ? Les programmes déjà surchargés ne laissent aucune marge de manœuvre. Par contre, rendre l’enseignement de la mécanique à la fois plus intéressant et plus efficace me semble possible. Nous avons la chance que la mécanique soit l’une des sciences incontournables pour comprendre les gestes et les exploits sportifs. Et nous avons la chance que le sport occupe une large place à l’école et intéresse beaucoup de jeunes gens ». Il concluait ainsi : « Amener l’élève à comprendre que l’efficacité du geste sportif ou de l’équipement sportif est une affaire de mécanique pourrait, me semble-t-il, provoquer une vraie transformation de l’image de la mécanique chez nos concitoyens ».

 

 

Lors des classes olympiques Sciences et Sport, nous proposons à des collégiens de participer à  l’analyse mécanique moderne de leurs propres gestes athlétiques fondamentaux comme courir, marcher, sauter, lancer, soulever des charges; ils sont alors  confrontés à diverses disciplines des sciences de l’ingénieur dont la complémentarité devient évidente pour eux, telles que :  mathématiques appliquées, informatique et  traitement de données, mécanique,  métrologie, et même anatomie, physiologie, ou  bien  encore histoire des sciences et des techniques en étudiant les expérimentations anciennes de Marey et Demenÿ. Encore faut-il donner aux élèves la possibilité de mesurer des paramètres tangibles et représentatifs de leur propre activité ; pour cela, Arnaud Decatoire, un ingénieur du groupe RoBioSS de l’Institut Pprime CNRS a construit une mallette pédagogique comprenant des versions simplifiées des outils d’analyse spécifiques de nos recherches universitaires : plate-forme de forces, dispositif de chronophotographie et d’analyse d’images 2D. Les collégiens ont pu ainsi confronter leurs propres sensations avec la réalité objective des mesures en construisant l’approche et un début d’appropriation de certains concepts indispensables sous la conduite de leurs professeurs habituels (sciences, technologie, mathématiques, éducation physique et sciences de la vie) et d’enseignants-chercheurs de notre équipe CNRS. Enfin chaque collégien est reparti en emmenant sur une clé personnelle USB toutes les données numériques et les images traitées correspondant à ses propres évolutions athlétiques afin de poursuivre au collège leur exploitation, condition indispensable pour assurer la maturation nécessaire des concepts abordés. D’autre part, cette clé USB va également lui permettre de présenter et d’expliciter ses résultats à ses parents ou amis et…d’en discuter avec eux avec un certain plaisir; s’il en est bien ainsi, la partie est bien engagée, elle est sans doute en passe d’être gagnée!

 Mais notre plus grande satisfaction fut de réunir toutes les disciplines du collège, et l’E.P.S. ne fut pas oubliée, autour d’un langage scientifique commun ; en effet dans notre démarche en ateliers à la fois scientifiques et sportifs, l’E.P.S. s’éloigne de la démarche empirique habituelle dont on connait les vertus (observation, découverte de sensations, recherche de la cause d’un phénomène, développement du sens commun, utilisation de la méthode des essais-erreurs) mais qui aussi est la cause de sa marginalisation dans le système éducatif ; nous apportons une autre dimension à l’E.P.S. en lui proposant de se fondre dans une action pluridisciplinaire de découverte de la démarche scientifique.

Nous espérons ainsi avoir pu démontrer que les activités sportives, en plus des expériences sociales et des valeurs humaines qu’elles entretiennent, constituent également un média de choix pour développer chez les enfants le goût pour les sciences. Une dernière satisfaction ; nos classes olympiques ont été retenues pour contribuer à la construction du projet J.O. Paris 2024 en proposant, sous l’égide du Comité National Olympique et Sportif Français, leur déploiement en Région Nouvelle Aquitaine dans un premier temps puis sur l’ensemble du territoire. . .

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                                                                                      Alain JUNQUA

                                                            Président du CRITTSport-loisirs                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                 

                                                                  Professeur émérite Université de Poitiers

                                                                    Initiateur des classes olympiques Sciences et Sport