Julie et Sibylle : la lutte contre les ravageurs… et contre les stéréotypes

Publié par Rachid HAMIDI, le 12 décembre 2025   18

Deux chercheuses au cœur du biocontrôle* de la noisette

Au village de Cancon, capitale de la noisette française, un laboratoire étudie les insectes qui menacent les vergers. Le balanin de la noisette, la punaise verte des bois et la désormais fameuse punaise diabolique compliquent chaque année un peu plus la production. Pour répondre à ces défis, l’ANPN s’appuie sur les compétences de Julie Robin et Sibylle Papillon, deux chercheuses en biocontrôle dont les trajectoires racontent une autre manière de faire de la science.


Figure 1. Sibylle Papillon à gauche et Julie Robin à droite. Crédit photo: Hamidi.

Julie : lutter contre les tumeurs du verger

Assistante Ingénieure d’expérimentation, Julie a d’abord été formée en cancérologie aux États-Unis. Une carrière de laboratoire l’attendait avec une proposition de thèse, mais elle préféra l'agroécologie et le terrain à la recherche ultra-académique. De retour en France, et après plusieurs années dans différentes stations d’expérimentations, de la Senura à l'INRAE, elle rejoint l’ANPN pour développer des méthodes de biocontrôle contre les ravageurs qui menace les vergers de noisetier.

L’une de ses études les plus singulières au sein du laboratoire consiste à mesurer la profondeur à laquelle les larves de balanin s’enfouissent dans le sol (figure 1) ! Pourquoi s’y intéresser ? et bien parce que l’efficacité des nématodes entomopathogènes, utilisés comme agents de lutte biologique, dépend directement de leur capacité à atteindre ces larves. Connaître la profondeur des logettes permet de déterminer la dose minimale efficace, d’éviter les applications inutiles et de limiter l’impact sur les autres organismes du sol (les effets non intentionnels).

Figure 2. Illustration représentant une larve de balanin dans le sol, dans sa logette et à droite une larve contamination par les vers nématode. Crédits photos: Souchaud et Hamidi. 

Julie et ses stagiaires passent ainsi des journées à creuser, parfois jusqu’à 40 cm, pour localiser et quantifier les larves. Un travail exigeant, loin de ses débuts en cancérologie, mais qui lui offre ce qu’elle recherchait : de l’action, de l’utilité directe et un lien concret avec l’agroécologie.

Dans la figure 3, Julie prélève les composés volatils émis par un noisetier pour identifier ceux qui agissent comme kairomones et attirent les insectes phytophages. Son expertise combine éthologie appliquée, compréhension fine de la phénologie du noisetier et analyse du statut physiologique des insectes, qu’elle réalise notamment par dissection. Ce croisement de compétences lui permet de relier l’état physiologique des ravageurs aux signaux chimiques de la plante. Ses travaux éclairent les mécanismes d’attraction plante–insecte et ouvrent la voie à des stratégies de biocontrôle plus ciblées et réellement opérationnelles.

Figure 3. Julie Robin prélève l'odeur d'un bouquet de noisettes. Crédit photo: Hamidi.

Sibylle : du paysage à ingénierie écologique

Le parcours de Sibylle n’est pas linéaire, et c’est précisément ce qui en fait la force. Formée au paysage et passée par des expériences de terrain en Europe, en Afrique et en Asie, elle développe très tôt une sensibilité aux écosystèmes et à leurs équilibres. Ses engagements successifs dans l’agriculture durable, le conseil technique et l’accompagnement des producteurs l’amènent naturellement vers l’agroécologie appliquée.

En rejoignant la filière fruits à coque KOKI puis l’ANPN, cette ingénieure en paysage trouve un cadre où cette approche prend tout son sens : comprendre les systèmes de culture, observer finement le vivant, tester des solutions fondées sur les mécanismes naturels. Le biocontrôle devient alors un terrain d’action logique, à la croisée de son expérience du végétal et de sa volonté de réduire l’usage des intrants. Quelques exemples de travaux réalisés par Sibylle à l'ANPN:

Sibylle mène des recherches sur la mouche du brou, un ravageur majeur de la noix. Ses travaux portent sur l’étude des attractions des mouches envers différents types d’attractifs : chromatiques et olfactif (kairomonaux et phéromonaux). Grâce à ses compétences techniques, elle est capable de sexer ces petits insectes, ce qui permet d’affiner l’analyse des comportements. Les résultats de ses études contribuent directement à développer des outils de biocontrôle efficaces, optimisant leur utilisation sur le terrain et offrant aux producteurs des stratégies plus précises et durables pour limiter l’impact de ce ravageur (figure 4).

Figure. 4. Illustration d'une mouche du brou, à gauche, de ses dégâts par ses larves au centre, et enfin, les relevés réalisé par Sibylle Papillon sur des pièges chromatiques. Crédit photos: Klejdysz, Freydier et Hamidi.

Par ailleurs, elle conçoit également des structures originales : des hôtels à punaises diaboliques ! L’insecte aime hiverner dans des abris artificiels ; Sibylle, accompagnée de Julie, les utilise donc comme pièges. Positionnés autour des vergers et parfois équipés de phéromones d’agrégation, ces hôtels sont testés dans le cadre d'un projet national "PACTE" du programme PARSADA.

Pourquoi mettre la lumière sur ces deux scientifiques ? Une question de biais de genre et de représentation 

La valorisation de femmes comme Julie et Sibylle dépasse leur parcours remarquable : elle renvoie à un enjeu systémique, celui des biais cognitifs, des stéréotypes sociaux et des barrières qui continuent de freiner les femmes en science. Leur histoire révèle une réalité souvent effacée dans l’histoire et parfois spoliée, c’est ce que l’on appelle aussi l’effet Matilda.

Des stéréotypes persistants

Aujourd’hui encore, les stéréotypes sont présents. Selon une consultation OpinionWay pour l’association Elles bougent, 82 % des femmes poursuivant une carrière scientifique rapportent avoir été exposées à des stéréotypes de genre : « les maths, ce n’est pas pour les filles », « les filles ne sont pas faites pour les carrières techniques », etc. Ces phrases, même dites en passant, façonnent des croyances : le métier de « scientifique » semble trop souvent hors d’atteinte pour les filles, non pas par manque de capacité, mais parce que la société leur dit qu’elles ne sont pas faites pour ça.

Des études en psychologie sociale ont montré que les femmes sont tout aussi compétentes que les hommes en sciences et en mathématiques. Cependant, leurs performances peuvent être affectées par ce que l’on appelle la “menace du stéréotype”. Cela signifie que si un test ou une situation rappelle des stéréotypes négatifs (par exemple que les filles seraient moins douées en sciences), les femmes tendent à obtenir des résultats plus faibles, a compétence égales (Steele et Quinn, 1999; Sebastián-Tirado et al., 2023).

Ces études soulignent l’importance de valoriser des modèles féminins en science et de créer des environnements exempts de stéréotypes. Montrer des scientifiques, comme Julie et Sibylle, engagées et compétentes, contribue à contrer ces préjugés et à encourager les jeunes filles à se projeter dans des carrières scientifiques.

Inspirer les jeunes filles : la bande dessinée comme porte d’entrée vers la science

Après avoir montré les biais et obstacles auxquels font face les femmes en sciences, il est essentiel de proposer des récits et des images qui contrebalancent ces stéréotypes et ceci dès le plus jeune âge.



Pour cela, en collaboration avec la revue la Ébullition(s), un article de vulgarisation et une bande dessinée retraçant les recherches de nos deux scientifiques ont été réalisés. La dessinatrice Anne-Perrine Couët a illustré avec brio et avec humour l'état des recherches en biocontrôle de la noisette en accompagnant Julie et Sibylle dans une aventure cinématographique. Le choix narratif teinté d'humour permet de rendre leur travail accessible à tous, mais surtout offrir aux jeunes filles des modèles féminins identifiables dans un domaine où la présence des femmes reste parfois minorée. Ce type de représentation ne feront pas disparaître les stéréotypes, mais déposent de petites graines qui, avec le temps, peuvent les fissurer.

Figure 5. Poster illustrant le travail graphique de la BD

La bande dessinée et l'article de vulgarisation associé "La punaise diabolique" sont disponibles en libre accès sur le site de la revue Ébullition(s). Ébullition(s) est une revue française de vulgarisation et de médiation scientifique, portée par l’Université de Pau et des Pays de l’Adour (UPPA), éditée par les Presses Universitaires de Pau et des Pays de l'Adour (PUPPA), reposant sur un comité éditorial, une validation scientifique des contenus par peer review, et dont les articles publiés se voient attribuer un DOI. 

L'article est aussi disponible en libre accès sur HAL, ici.

REMERCIEMENTS

Les auteurs de l'article "La Punaise Diabolique" remercient la région Nouvelles-Aquitaine et Cap Sciences pour le soutien logistique et financier. Le projet "Julie et Sibylle au cœur de la science de la noisette" a été financé par le PAI CSTI Nouvelle-Aquitaine 2025, dans le cadre du programme « faire pousser des elles ». Nous remercions également l’équipe éditoriale de la revue Ebullition ainsi que les reviewers anonymes pour leur relecture attentive. Merci également aux dessinateurs Anne-Perrine Couët et Raphaël Livingstone pour leur contribution visuelle.

*Le biocontrôle désigne l’ensemble des méthodes de protection des plantes fondées sur l’utilisation d’organismes vivants, de substances naturelles ou de mécanismes écologiques, visant à réguler les bioagresseurs en substitution ou en complément des produits phytosanitaires de synthèse (définition institutionnelle française).

Pour aller plus loin:

iEES les femmes !

Agroécologie - Croiser les Regards - REPLIK & RIPPOSTE

La journée mondiale de la femme scientifique

La recherche agricole est aussi une affaire de femmes

Pour les filles et la science