Poulets en plein air : dis-moi comment tu raisonnes, je saurai comment tu explores
Publié par INRAE Nouvelle-Aquitaine-Poitiers, le 18 décembre 2020 700
© INRAE, ISA Lille - Yncréa Hauts-de-France - Vitor Ferreira.
Au sein d’un élevage en plein air de poulets de chair, certains animaux explorent beaucoup le parcours extérieur alors que d’autres l’explorent très peu. Des chercheurs d’INRAE et de ISA Lille - Yncréa Hauts-de-France révèlent que cette différence de comportement est associée à des capacités cognitives distinctes. Pour la première fois, ils montrent que - de manière contre-intuitive - les poulets qui explorent le moins le parcours traitent les informations de leur environnement avec plus d’attention, ce qui se traduit par une plus forte inhibition comportementale. Publiés dans Biology Letters le 22 janvier 2020, ces résultats mettent en évidence l’importance d’étudier les capacités cognitives des animaux d’élevage pour mieux comprendre leur comportement dans différentes situations et à terme concevoir des élevages encore plus adaptés et ainsi, plus respectueux du bien-être animal.
Plusieurs études ont montré que les modalités d’utilisation du parcours extérieur par les poulets de chair élevés en plein-air peuvent dépendre d’un certain nombre de facteurs comme la saison, le moment de la journée, la présence d’un couvert végétal ou encore l’origine génétique des poulets. Toutefois, ces facteurs n’expliquent pas la raison pour laquelle au sein d’un même élevage, il demeure toujours une variabilité importante entre les individus dans l’utilisation du parcours extérieur. En effet, certains poulets vont explorer très souvent les zones les plus éloignées du parcours alors que d’autres les exploreront très peu et resteront à proximité de leur bâtiment d’élevage. Cette différence de comportement suggère que l’utilisation du parcours dépend de l’individu lui-même, de la façon dont il perçoit, traite et mémorise les informations de son environnement.
Les scientifiques ont cherché à savoir si l’utilisation différente du parcours selon les individus pouvaient dépendre de leurs capacités cognitives (c’est-à-dire les capacités du cerveau qui permettent aux individus de communiquer, de percevoir, comprendre leur environnement). Ils ont ainsi soumis les poulets à un test habituellement utilisé chez d’autres animaux pour évaluer leur flexibilité comportementale ou cognitive. Ce test consiste à placer une récompense alimentaire à l’intérieur d’un tube cylindrique transparent. Pour récupérer la récompense, les animaux doivent comprendre qu’ils ne peuvent pas avoir accès directement à la nourriture en picorant la paroi du tube. Ils en déduisent la nécessité de contourner le tube et se diriger à l’une de ses extrémités. Ce test implique que l’animal traite les informations issues d’une situation donnée (la nourriture n’est pas accessible), afin d’élaborer une réponse adaptée (contourner le tube). Les résultats montrent que les poulets sont capables de résoudre cette tâche et font preuve de flexibilité cognitive.
A l’issue de l’étude, il apparaît que les individus les moins explorateurs de leur parcours sont ceux qui, au cours du test, comprennent plus rapidement qu’il ne sert à rien de picorer la paroi du cylindre et qui s’adaptent davantage en contournant plus souvent le tube pour récupérer la récompense. Ce résultat est plutôt contre-intuitif, dans la mesure où les poulets les moins explorateurs sont ceux qui font preuve d’une plus grande flexibilité cognitive que ceux qui explorent beaucoup le parcours.
Cette étude vient conforter d’autres résultats obtenus récemment par le même groupe de scientifiques d’INRAE et de ISA Lille - Yncréa Hauts-de-France (Ferreira et al., 2019). Ils avaient révélé que les poulets les moins explorateurs se distinguaient aussi des plus explorateurs dans leur aptitude à traiter plus finement les informations de leur environnement et à mieux les mémoriser. Cette aptitude pourrait guider leur décision et inhiber leur motivation à explorer un parcours extérieur (une hypothèse serait qu’ils se rendent davantage compte des risques encourus dans un milieu ouvert). Ces études[1] mettent donc en évidence l’existence d’un gradient de profils cognitifs entre les individus d’un même groupe de poulets.
Des études complémentaires sont nécessaires pour mieux comprendre et interpréter ces différences de capacités cognitives et pour découvrir par quels mécanismes elles influencent le comportement explorateur des animaux. En tout cas, l’investigation des capacités cognitives des animaux d’élevage fait progresser nos connaissances sur leur biologie. Dans le cas de l’élevage de poulets en plein-air, ces connaissances sont essentielles pour concevoir des élevages mieux adaptés à l'expression des comportements des animaux et ainsi plus respectueux de leur bien-être.
[1] Ces études se déroulent dans des dispositifs d’élevage uniques, équipés de parcours au sein de l’unité expérimentale INRAE Elevage alternatif et santé des monogastriques (INRAE Magneraud).
Références :
Uninhibited chickens: ranging behaviour impacts motor self-regulation in free-range broiler chickens (Gallus gallus domesticus). Vitor Hugo Bessa Ferreira, Lorène Reiter, Karine Germain, Ludovic Calandreau et Vanessa Guesdon. 22 janvier 2020. Biology Letters. https://doi.org/10.1098/rsbl.2...
Relationship between ranging behavior and spatial memory of free-range chickens. Ferreira VHB, Peuteman B, Lormant F, Valenchon M, Germain K, Brachet M, Leterrier C, Lansade L, Calandreau L*, Guesdon V*. Behav Processes. 2019 Sep;166:103888. doi: 10.1016/j.beproc.2019.103888. *Co-last authorship